Nelson
MALLÉUS
Orchestrateur, clarinettiste & concepteur d'instruments
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À propos de la disposition des instruments à cordes de l’orchestre
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À propos de la disposition des instruments à cordes de l’orchestre
Cet article a pour objectif de questionner sur la disposition des instruments à cordes de l’orchestre afin de faire progresser les usages lors des séances d’enregistrement. Dans la logique de cette démarche, je suis très intéressé par vos retours théoriques et expérimentaux !
Avant toutes choses, je tiens à remercier les compositeurs et les techniciens qui m’ont permis d’identifier ce sujet et qui ont accepté d’y réfléchir avec moi : Loris Bernot, Valentin Couineau, Jules Dussap, Mathieu Lamboley, Stéphane Reichart, Romain Trouillet et Jérémy Weibel.
Un merci tout particulier aux compositeurs Julien Auclair et Javier Navarrete pour leur confiance sur mes premières expérimentations de dispositions et l’utilisation d’extraits de leurs créations pour illustrer cet article. Sans eux, cela n’aurait rien été de plus qu’un concept idéal sur lequel je n’aurais pas pu écrire.
Depuis les premières séances, Julien Auclair et Javier Navarrete ont été rejoints par Uèle Lamore.
Conventions
Cet article se limite à réfléchir à l’amélioration de la disposition des instruments à cordes pour une prise de son en vue de diffusion multicanale, à partir de la stéréophonie. Les cas de la prise monophonique et du concert seront ponctuellement évoqués, mais rapidement écartés.
Nous parlerons toujours de la disposition vue depuis le chef d’orchestre.
Les partitions et enregistrements d’illustrations ont été réalisés en fausse symétrie 1-2 pour papillon simple. Cette disposition est décrite en détail dans les paragraphes qui lui sont consacrés.
Abréviations :
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Vl1 : premiers violons
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Vl2 : seconds violons
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Vla : altos
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Vlc : violoncelles
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Ctb : contrebasses
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L / C / R : microphone à gauche (L), au centre (C) ou à droite (R) de la partie principale de l’arbre. Il s’agit de la prise de son la plus répandue pour les enregistrements de musique de film
Les descriptions sont faites sur un effectif de 50 cordes : 26 violons (répartis en 14/12 ou 13/13 suivant les besoins), 10 Vla, 8 Vlc et 6 Ctb. À adapter bien sûr suivant l’effectif nécessaire ou disponible.
Le problème de la disposition en dégradé
Nous appelons en dégradé la disposition présentant de gauche à droite les Vl1, Vl2, Vla, Vlc et en retrait sur la droite, les Ctb, comme sur l’illustration suivante.
Cette disposition est la plus courante et présente des problèmes évidents d’équilibre :
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beaucoup d’aigus à gauche, pas assez à droite
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les musiques avec beaucoup de Vlc sont complètement décentrées sur la droite
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les Ctb créent une sensation d’énergie des graves trop à droite
Ces problèmes, en perturbant l'écoute, font sortir, consciemment ou non, le public de l’immersion dans laquelle le média travaille à le mettre. C’est gênant en salle de cinéma, pour tous les paramètres, et cela devient même critique lors d’une écoute au casque, en particulier pour les Vl1 avec les fréquences aiguës, dans une moindre mesure pour les Vlc à droite.
Même avant la diffusion, cette disposition, du fait de son déséquilibre spectral, complexifie l’intégration de la musique avec les autres éléments sonores du média lors du mixage.
Mais pourquoi cette disposition existe-t-elle ?
Si cette disposition est très mal pensée pour l’écoute, elle permet aux instrumentistes d’être proches des parties qui leur sont directement complémentaires. Elle facilite donc le jeu précis et l’homogénéité.
En concert, où le public rarement bien placé, où l’acoustique de la salle marque énormément le rendu et où le phénomène social importe au moins autant que la musique, la disposition acoustique d’un orchestre est un détail que l’on peut sans hésitation sacrifier face au confort des instrumentistes qui ont une seule chance pour convaincre.
Pour les enregistrements, si nous remontons à l’époque de la prise de son monophonique, cela n’avait aucun impact… mais la disposition de l’orchestre n’a pas évolué aussi vite que les techniques d’enregistrement et de diffusion.
Lors d’un enregistrement pour une musique pour un média où la musique doit s’intégrer et trouver sa place sans tout bousculer, ce confort doit aujourd’hui être mis de côté au profit de la qualité de l’œuvre globale.
Pourquoi passer les violons 2 à droite n’est pas une solution acceptable
Nous appelons symétrique 1-2 la disposition mettant les Vl2 tout à droite de l’orchestre, face aux Vl1.
Cette solution est la seconde la plus courante. Elle sacrifie légèrement le confort de jeu de la disposition en dégradé pour atténuer certains problèmes d’équilibre mais en crée d’autres au moins aussi importants :
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nous avons maintenant un peu moins d’aigu à gauche et plus à droite
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mais les extrêmes aigus restent toujours à gauche uniquement
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le problème des Vlc trop à droite est très atténué
Par contre, d’importants problèmes de déséquilibres apparaissent :
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si les Vl1 jouent un thème à l’octave supérieure des Vl2, l’oreille gauche entend principalement une octave au dessus de l’oreille droite, ce qui n’est pas acceptable
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pire, encore, si les éléments mélodiques sont à gauche en unisson ou à l’octave et que le complément harmonique est à droite, la musique ne prend plus sens à partir de la stéréophonie
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les Vl2 émettent maintenant dans la direction opposée au chef. Il y aura donc un peu moins d'énergie, surtout dans les hautes fréquences qui sont plus directives. Cela accentue à nouveau la disparité spectre en plus d’avoir les Vl1 qui jouent des lignes plus aiguës que les Vl2
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le problème de l’énergie des graves décentrée persiste
Deux points à noter :
Oui, on peut faire des jeux de ping-pong gauche-droite, c’est peut-être rigolo en concert (et encore…), mais en musique pour les médias, cela sort de l’immersion, donc sauf exception pour effet, on oublie.
En symétrique 1-2, il faut prévoir autant de Vl2 que de Vl1 : comme les Vl2 émettent dans la mauvaise direction, s’ils sont en sous-effectif par rapport aux Vl1 comme c’est souvent le cas en dégradé, le déséquilibre d’énergie entre les voix sera trop grand.
Proposition : la disposition en papillon
Nous appelons en papillon la famille de disposition dont les voix aiguës sont divisées et réparties aux extrémités de l’orchestre.
Cette illustration présente les bases de la disposition en papillon dont nous étudierons d’autres variantes plus loin :
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les Vl1 sont séparés en 2 : Vl1A tout à gauche et Vl1B tout à droite
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les Vl2 sont séparés en 2 : Vl2A à l’intérieur des Vl1A et Vl2B à l’intérieur des Vl1B
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Vla et Vlc sont autour du centre comme pour la symétrique 1-2. Nous verrons des dispositions plus intéressantes pour ces deux pupitres plus loin
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les Ctb sont centrées
Les violons 1 & 2
La base
Partons du cas simple où les Vl1 jouent une voix et les Vl2 une seconde voix : la symétrie semble parfaite… mais il ne faut pas oublier que, comme dans la symétrique 1-2, les violons situés à droite émettent dans la mauvaise direction.
Avec un effectif à 26 violons, différentes propositions de répartitions s’offrent à nous (Vl1A/Vl2A - Vl2B-Vl1B) :
6/6 - 7/7 pour être au plus équilibré
7/6 - 6/7 s’il y a besoin de plus de Vl1 que de Vl2
7/6 - 7/6 s’il y a des solos de Vl1 à placer à gauche afin de garder l’équilibre pour gli altri (1+6/6 - 7/6)
Nous parlerons en détail de la disposition des solistes plus loin.
Notez que pour des raisons de phase, la disposition en papillon fonctionnera bien seulement à partir de 12 violons.
En pratique : la disposition en fausse symétrie 1-2 pour papillon simple
Dans le cas d’orchestres constitués avec des règles syndicales ne permettant pas la division spatiale des pupitres des violons, il est possible de considérer la disposition en papillon comme une symétrique 1-2 où :
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les Vl1 comme les Vl2 sont systématiquement divisés en A et en B
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les A sont à l'extérieur de l’orchestre et les B à l’intérieur
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les Vl1 et les Vl2 ont exactement la même partition, tout est géré par les divisions
Réaliser ainsi une disposition en papillon est la seule solution si l’orchestre ne peut pas séparer les Vl1 en deux groupes et les Vl2 en deux groupes... et c’est simplement très pratique pour éviter toute question lors de l’installation dans tous les cas !
Indications de première page sur la musique de Paris Police 1905 composée par Javier Navarrete
C’est la convention qui a été suivie pour les enregistrements illustrant cet article.
À noter : dans cette configuration, les Vl2 se retrouvent à jouer plus d'aigu et de lignes mélodiques qu’habituellement.
Une maîtrise de l’équilibre spectral, mais aussi de la largeur
Grâce à la disposition en papillon, les fréquences aiguës sont maintenant équilibrées entre la gauche et la droite, et sonnent aussi beaucoup plus large :
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pour profiter au maximum de cette largeur, il faut écrire les éléments les plus aigus ou thématiques aux Vl1 de façon traditionnelle
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il est possible d’atténuer cette largeur en donnant les éléments les plus aigus ou thématiques aux Vl2
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et il est bien sûr possible de faire varier la largeur des éléments en passant des Vl1 aux Vl2 et inversement…
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… et pourquoi pas, élargir naturellement une tenue d’ouverture de séquence en commençant pas les Vla, puis les Vl2 et terminant avec les Vl1 !
Premières mesures des cordes du thème principal de Paris Police 1905 composé par Javier Navarrete illustrant à la fois l’équilibre spectral stéréophonique et l’élargissement.
Difficultés techniques
Les violons, plus écartés qu’ils n’en n’ont l’habitude, ne s’entendent pas forcément aussi bien. Il faut donc anticiper les cas de difficultés techniques nécessitant une grande précision, et prévoir de considérer les violons 1A-2A comme une phalange et les 1B-2B comme une seconde phalange. Il s’agit de choisir quand sacrifier la spatialisation au confort des musiciens pour obtenir le meilleur résultat.
Si l’essentiel de la musique composée par Javier Navarrete pour Paris Police 1905 est orchestrée en papillon, il ne faut pas s’interdire de retourner dans une disposition privilégiant le confort des instrumentistes à l’acoustique lorsque cela est nécessaire.
Il est aussi possible de recentrer les parties plus rythmiques sur les voix intérieures qui s’entendent mieux. S’il y a en parallèle une voix plus tenue, elle tirera un meilleur avantage de la largeur, c’est donc mieux sur tous les tableaux.
Dans ces quelques mesures de la musique de De Profundis composées par Julien Auclair, ce sont les voix intérieures des Vln qui jouent les parties rythmiques : elles sont à la fois plus proches entre elles, plus proches des Vla qui font les sur-divisions, et les tremolos aigus profitent plus de la largeur que les notes courtes n’en profiteraient.
Soli
Puisque nous re-disposons l’orchestre, c’est l’occasion de réfléchir la position des solistes chez les violons.
Nous nous concentrons ici uniquement sur les cas les plus conventionnels avec des solistes au premier rang. Les quatre points les plus intéressants sont :
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S à la gauche des Vl1A, la position traditionnelle du violon solo, sur la gauche et émettant vers le chef ou le L de l’arbre
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T à la droite des Vl2A, la source est plus au centre et dirigée de façon optimale. Le violon solo n’est plus le chef d’attaque des Vl1 mais à l’emplacement d’un Vl2 du rang
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U à la gauche des Vl2B, la source est toujours plutôt centrée, mais sa direction d’émission est moins optimale et permet d’obtenir un son acoustiquement moins timbré
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V à la droite des Vl1B, nous nous retrouvons à nouveau décentré, mais cette fois-ci sur la droite, avec un son encore un peu moins timbré car en direction de l’arrière
Attention : pour des raisons de hiérarchie et de rémunération, un solo ne peut pas être confié à n’importe quel violoniste de l’orchestre. Si vous souhaitez faire jouer un solo depuis l’emplacement T, U ou V, assurez-vous de la faisabilité avec les responsables de l’orchestre et les violons solos au moment d’établir le plan de la séance.
Divisi
Si nous disposons de 12 violons répartis en 3/3 - 3/3, il devient risqué de les diviser davantage, en particulier pour les éléments thématiques.
L’intérêt de la disposition en papillon commence lorsqu’il y a au moins 3 Vl1 de chaque côté qui jouent les éléments aigus ou thématiques. Si l’effectif est réduit et que l’écriture comporte de nombreuses divisions, mieux vaut partir sur une disposition en dégradé.
Pour les divisions harmoniques, nous préférons conserver des groupes compacts d’instrumentistes à une symétrie.
Voici quelques exemples complémentaires pour saisir les enjeux des choix de répartition :
Dans cet extrait de Paris Police 1905 composé par Javier Navarrete, les Vln sont divisés en 4 pour 3 parties afin d’élargir le thème et de conserver un équilibre. L’harmonie est répartie entre les parties intérieures gauche et droite sans une symétrie qui surdiviserait inutilement. La doublure du thème à l’octave basse aux Vla est plus centrée.
Comme dans cet extrait de De Profundis composé par Julien Auclair, il est extrêmement important de répartir équitablement les octaves dans l’espace stéréophonique. Ici de façon classique avec les voix les plus aiguës à l’extérieur.
Les violoncelles et les altos
Comme pour la disposition symétrique 1-2, il est préférable de conserver les Vla au centre gauche et les Vlc au centre droit : les inverser désaxe les Vla sans apporter d’autres avantages.
Cependant, pour aller plus loin, deux solutions s’offrent à nous :
Si la BO est principalement centrée sur les Vlc
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les placer au centre avec les Vla de part et d’autre…
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… ou mieux encore : pour de plus de largeur, les placer en ligne ou sur 2 rangées à l’avant ou à l’arrière suivant le type de timbre recherché, les Vla occupant l’espace restant à l’arrière ou à l’avant
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dans ce cas où les Vlc sont à l’avant et les Vla à l’arrière, il est préférable dans de nombreux cas d’orchestration d’avoir tout de même quelques Vlc proches des Ctb comme sur l’exemple ci dessous
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Dans le cas où la place des Vlc n’est pas primordiale
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Vla à gauche et Vlc à droite tout simplement
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ou croiser les Vla et les Vlc s’il y a crainte d’un manque d’équilibre
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Vla à gauche devant et à droite derrière
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Vlc à droite devant et à gauche derrière
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Cette partie a été rédigée pour les Vlc car c’est le cas le plus souvent rencontré, mais elle est parfaitement transposable pour les Vla pour les compositeurs qui ont le bon goût de tirer profit de ce pupitre sous-exploité.
Les contrebasses et le déséquilibre d’énergie dans les graves
Comme nous l’avons fait naturellement sur les schémas précédents, placer les Ctb au centre permet d’éviter la sensation d’une énergie dans les graves sur la droite.
Pour aller plus loin :
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garder un Vlc pour doubler les Ctb, éventuellement à l’octave, lorsqu’il y a besoin de précision. Bien noter “a1 con Ctb.” et non “solo” puisque c’est le violoncelle à l’arrière le plus proche des Ctb qui doit jouer cette partie et non le solo à l’avant.
À retenir
Disposition en dégradé :
Privilégie le confort de jeu des instrumentistes à la qualité acoustique du résultat. Très bien pour le concert, mais pas adaptée à l’enregistrement, sauf dans le cas où l’effectif est réduit.
Disposition en symétrique 1-2 :
Fausse bonne idée pour corriger les problèmes de la disposition en dégradé car elle apporte plus de problèmes qu’elle n’en résout. Ne jamais utiliser.
Disposition en papillon :
La meilleure au niveau du résultat acoustique, au détriment d’une partie du confort pour les instrumentistes. Idéale en enregistrement, mais à éviter en concert si l’orchestre n’est pas habitué.
Elle est aussi plus facile à intégrer au mixage d’un film.
Les variantes principales de la disposition en papillon sont :
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la disposition en papillon simple (avec violoncelles à droite)
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la disposition en papillon avec violoncelles à l’avant (ou à l’arrière)
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la disposition en papillon croisé pour un équilibre optimal
Ces variantes peuvent être adaptées en fausse symétrie 1-2 pour papillon.
Dans tous les cas, discuter avec votre orchestrateur et votre ingénieur du son de la disposition en amont de leur travail, car ils devront adapter leurs plans pour en tirer le meilleur parti.
Conclusion
L’orchestration mélange physique, psycho acoustique, psychologie de l’instrumentiste et culture. Après les nombreux chefs-d'œuvre dont nous avons hérité, il n’est pas rare de voir le paramètre culture prendre un poids disproportionné et empêcher de faire progresser ce métier technique.
Ne nous complaisons plus dans des dispositions d'orchestre médiocre et sur ce point comme sur tous les autres, tâchons, nous les techniciens, de systématiquement remettre en question ce qui semble fondamental et d’apporter nos réflexion afin de mettre au mieux en valeur les créations de nos artistes et d’améliorer l’expérience du public !